Hommage à mon ami et mentor Gabriel Locatelli

Dans mon parcours horloger, j’ai côtoyé des personnes qui ont eu un impact important sur ma carrière autant en termes humain que professionnel. La rencontre la plus déterminante est incontestablement celle de mon ami, trop vite disparu, le maître horloger Gabriel Locatelli.

C’est pourquoi je lui dédie le premier « coup de cœur » de mon blog.

À ma sortie de l’école d’horlogerie en 1967, je rejoins la manufacture Jeager-Lecoultre pour y compléter ma formation et il sera mon premier collègue de travail. Cela dépassera très vite le simple fait d’être un « collègue » tant il m’a apporté, il m’a vraiment « pris sous son aile » et m’a transmis son savoir-faire et plus important encore son savoir-être.

Nos parcours se séparent une première fois, car j’avais demandé de pouvoir travailler à l’étranger sous le compte de Jaeger-Lecoultre. Après un avoir passé un an à Frankfort au service SAV, j’ai pu me rendre compte de la réalité de la vie d’une montre étant en contact direct avec la clientèle ainsi que des problèmes qu’ils rencontraient avec ses dernières.

À mon retour et riche de cette expérience, je rejoins Gabriel dans son atelier laboratoire où j’ai la chance de travailler seul avec lui. Notre entente est parfaite et cela marquera le début d’une sincère et chaleureuse amitié entre nous. Nous avions en charge l’amélioration et la création de nouveaux mouvements, des réglages ou de l’huilage afin qu’il n’y ai pas de perte d’amplitude. Pour exemple, après avoir remarqué que les montres qui étaient exposées en vitrine souffraient des UV qui dégradaient la qualité des huiles, notre mission était de trouver des solutions pour palier à ce problème, et d’imaginer bien d’autres solutions innovantes pour toutes une série de problématiques que rencontraient certains mouvements. C’était un travail vraiment passionnant tant, le peaufinage était poussé à l’extrême, cela a été une vraie relation de « compagnonnage », la recherche de l’excellence à tous les niveaux dans un respect mutuel.

Nos chemins vont à nouveau se séparer, car j’ai envie de donner un nouveau tournant dans ma vie horlogère et de passer à la création de garde-temps.

Bien des années plus tard en 1992, je rencontre Gabriel qui était complètement désabusé et vraiment dégoûté par les dernières années passées en Manufacture. Il a subi de plein fouet l’arrivée des « technocrates et autres soi-disant spécialistes » qui ont la science infuse et veulent imposer un nouveau modèle industriel en fragmentant les compétences et les tâches horlogères. Le véritable métier d’horloger venait d’exploser et vivait ses dernières heures au sein de ce type de manufacture. Cela induit de facto une perte de savoir-faire qui n’est plus détenu par une seule personne, ce qui a pour conséquence la destruction de la cohérence et finalement de l’efficacité, de plus c’est l’anéantissement de « l’acte créatif » qui consistait à pouvoir concevoir une montre de A à Z. Il regrettait vivement cet état de fait et d’avoir été complètement débarqué en constatant que l’on ne l’écoutait plus.

Il me dit alors « dès que je suis à la retraite, je viens travailler chez toi ». Sitôt sa retraite arrivée, je lui téléphone en lui indiquant que son établi était prêt. Son arrivée dans mon atelier coïncide avec le début du développement de la Simplicity auquel il participera activement. Ces années passées avec lui sont un vrai bonheur tant par la qualité exceptionnelle de nos échanges de savoir-faire que de la richesse de notre relation humaine. Notre osmose était tout simplement parfaite et nous avions la même énergie, la même motivation que jadis dans son laboratoire. En 2000, je présente la Simplicity à Bâle et elle suscite un vif intérêt du monde horloger et plus particulièrement de la clientèle japonaise.

Il n’est pas venu à Bâle avec car trop discret et altruiste pour se mettre sur le devant de la scène. Je suis très confiant sur la suite de l’aventure et me réjouis déjà du nouveau tournant de notre collaboration. Mais seulement quelques mois plus tard, j’apprends avec stupeur son décès dans un accident de voiture, je suis sous le choc et complètement anéanti et n’arrive plus à me remettre à l’ouvrage tant sa présence me manque. Je pense même tout arrêter, mais je me dois de surmonter ma peine et de continuer l’aventure sans lui, il n’aurait jamais voulu que je m’arrête. Le marché japonais étant demandeur de la Simplicity, je me devais de poursuivre pour ne pas perdre tout le travail que nous avions engagé ensemble pour sa naissance. La Simplicity portant en elle un peu de l’âme de Gabriel.

La haute horlogerie et la « Vallée » venait de perdre un de ses plus grands maîtres horlogers dont l’influence a été déterminante dans ma carrière horlogère, mais qui a également transmis son savoir-faire et ses connaissances à de nombreux autres horlogers, parmi ceux-ci, Eric Coudray dont les inventions ont fait date dans l’histoire horlogère ou le jeune et talentueux horloger David Candaux.

Finalement, il n’a pas complètement quitté mon atelier, car je ressens toujours sa présence et son influence, les frissons me parcourent invariablement le dos quand je regarde le prototype de la Simplicity qu’il réalisa et que je porte tous les jours.