Grace in Simplicity
Par Claude Sfeir
Philippe Dufour est un maître vivant de la haute horlogerie qui apporte la grâce à un métier qui, entre ses mains, devient un art.
J’ai le privilège de connaître Philippe depuis des années. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans le monde des ventes aux enchères et nous nous sommes rapprochés lorsque nous avons tous deux été jurés du Grand Prix d’Horlogerie de Genève, après qu’il eut accepté le Prix spécial du jury en 2013. Sa nomination pour le prix a fait l’objet d’un consensus unanime, et depuis lors, il est devenu un membre précieux du jury. Aucun autre membre ne peut faire basculer les opinions comme il le fait pendant les délibérations. Lorsque Philippe Dufour dit ce qu’il pense, comme il le fait souvent, les gens l’écoutent.
Philippe est un maître artisan que j’ai le plaisir d’appeler un ami. Je suis ému lorsqu’il me désigne comme son « frère », témoignage de l’authenticité de notre relation. J’ai eu le plaisir de partager des moments rares avec lui dans son atelier du Solliat, un village de la Vallée de Joux. Là, dans le berceau des complications horlogères, il a créé certaines des montres les plus spectaculaires et les plus désirables de l’histoire de l’horlogerie, que les clients attendent avec plaisir pendant des années. Tout ce qui le passionne est là, ses dessins, un bon demi-siècle d’archives, ses outils personnalisés, ses prototypes inestimables, ses travaux en cours, sa collection de pipes. Tout l’attirail d’un grand artiste transposé à l’horlogerie. Ce que je ne m’attendais pas à y trouver, c’est des mountain bikes électriques nouvelle génération, dont j’ai monté l’un d’eux pour une balade sur les chemins de la Vallée.
Philippe travaille généralement seul. L’atelier est une ancienne école, suffisamment grande pour accueillir une équipe qu’il aurait aimé réunir autour de lui. Aujourd’hui, sa plus jeune fille l’a rejoint et entend bien reprendre le flambeau. Dans son atelier, la barre est placée très haut : il n’y a pas de place pour l’erreur. « Pas de compromis, pas de limite », dit-il.
Dans les bois proches de l’atelier, Philippe récolte la gentiane, une plante qui fleurit contre vents et marées dans le Jura suisse. Distillée en une eau-de-vie puissante, elle est assez forte pour réveiller l’esprit des horlogers du passé. Philippe sculpte sa tige pour en faire un outil de chanfreinage pour l’anglage méticuleux de ses composants. Un outil ancien pour l’ère moderne. Sa récompense après une longue promenade à vélo est un moment pour apprécier sa pipe. Si elle n’est pas dans sa main, la pipe a une place spéciale suspendue dans un plant de tomates en pot qui pousse près de la porte.
Tout comme certains des sentiers tortueux qu’il emprunte à vélo, Philippe a choisi une voie radicale dans l’horlogerie. Partant des grandes complications, il s’est dirigé vers son propre idéal de simplicité. Il a commencé, comme beaucoup d’autres grands noms du domaine, comme restaurateur de montres de poche anciennes. Comme un artiste en herbe qui examine un Rubens pour comprendre comment un maître saisit le mouvement, il a scruté les mécanismes anciens pour déchiffrer comment les vieux maîtres de l’horlogerie réalisaient des complications complexes avec les outils les plus simples. De là, il est passé aux « grandes complications » commandées par des sociétés comme Audemars-Piguet. Peu après avoir fondé sa propre marque, il s’est mesuré au grand défi d’une grande sonnerie avec répétition minutes intégrée à une montre-bracelet, un exploit sans précédent en 1992. La Duality est née en 1996, après qu’il eut maîtrisé le fonctionnement de deux balanciers indépendants pour réaliser la première montre-bracelet au monde à double échappement.
Au fil du temps, Philippe a été séduit par la pureté. Simplicity est un chef-d’œuvre qu’il a d’abord conçu pour ne plaire qu’à lui-même. Faisant référence aux styles élégants des années 50 et 60, elle a connu le succès dès son lancement à Baselworld en 2000. En deux décennies, Philippe en a fabriqué environ 200, en or ou en platine. Et l’année dernière, il a surpris mon fils Simon avec un cadeau unique qu’il a fabriqué spécialement pour lui – une Simplicity en acier – avec des marqueurs arabes orientaux et un cadran « vintage » doré.
L’art de Philippe Dufour réside dans des montres d’une qualité irréprochable et magnifiquement finies à la main, à l’intérieur comme à l’extérieur, sur toutes les parties visibles et cachées. Rien de moins que les normes les plus élevées de l’artisanat ne fera l’affaire, car une montre Philippe Dufour est faite pour résister à l’épreuve du temps, non seulement en termes de performances et d’esthétique, mais aussi pour pouvoir être réparée dans un siècle. Comme le dit Philippe, « Nous sommes là aujourd’hui, nous devons être là demain ! ».